Parlons Géopolitique: Intégration Régionale

Opinion By: Eric Tevoedjre, Ph.D.

May 31, 2023
CAT

Les opinions exprimées dans ce commentaire sont les miennes.

Les spécialistes des Relations internationales s’intéressent aux rapports de pouvoir ainsi qu’aux projets de coopération entre les états.

Si l’État existe, c’est pour se maintenir et se perpétuer dans le temps. Il va donc chercher à accroître son pouvoir vis-à-vis des autres états, soit militairement, soit économiquement ; le plus souvent, par ces deux moyens.

Il faut savoir que, dans un monde où règne l’anarchie, les états sont essentiellement livrés à eux-mêmes : les plus forts imposent leur volonté aux plus faibles, qui se protègent comme ils peuvent des velléités expansionnistes des plus puissants.

Le pouvoir a aussi une dimension économique. C’est précisément l’objet de cet article : l’intégration économique.

L’intégration économique est un processus par lequel des pays souverains cherchent à accroître leur pouvoir à travers les échanges commerciaux. Cette entente entre états aura aussi des conséquences politiques plus ou moins profondes, puisqu’elle peut aboutir à l’intégration complète et volontaire des acteurs ayant adhéré au processus.

C’est un économiste hongrois, Béla Balassa, qui en 1961 a décrit les diverses étapes d’une intégration régionale classique. Voyons donc les cinq points principaux de ce parcours, qui peut s’étaler sur plusieurs décennies.

La première étape est celle où les pays qui souhaitent coopérer plus étroitement s’entendent pour baisser les tarifs imposés aux biens provenant des états partenaires. C’est ce que l’on appelle l’accord de libre-échange. Même si les pays signataires d’un tel accord s’entendent pour baisser les tarifs sur leurs biens respectifs, ils conservent le droit d’appliquer, vis-à-vis des pays tiers, la politique tarifaire qui leur convient le mieux.

La deuxième étape est celle où les pays partenaires s’entendent pour appliquer une grille tarifaire unique vis-à-vis des biens originaires de pays tiers : c’est l’union douanière. L’Union européenne (UE), par exemple, a mis en place une union douanière qui oblige les états tiers à s’acquitter du même tarif douanier, quel que soit le pays par lequel leurs biens pénètrent dans l’UE.

Une troisième étape importante est celle où les pays membres d’une union autorisent les ressortissants des autres pays partenaires à s’établir et travailler sur le territoire d’un autre État membre. Prenons encore l’exemple de l’UE : un médecin belge a le droit d’exercer sa profession sur le territoire italien et inversement. C’est le principe de la libre circulation des biens et des personnes (ici, dans l'espace européen) au sein d’un marché commun.

Quatrième étape fondamentale : la monnaie unique. Depuis janvier 2002, les pays de l’Union européenne utilisent (presque) tous l’Euro. La monnaie unique permet de favoriser les échanges commerciaux entre les pays membres d’un même bloc économique, car leurs opérateurs économiques n’ont pas à subir les coûts financiers induits par les variations de change. Le principal inconvénient de l’euro est que les états qui l’utilisent n’ont pas la possibilité de modifier la valeur de cette monnaie (par exemple dévaluer) afin de relancer leur économie.

En Afrique, tant la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC) que la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ont engagé le long processus qui mènera à la création d’une monnaie unique.

Enfin, la cinquième étape est celle où les états membres décident de s’unir au sein d’un même État : c’est l’intégration économique totale à l’intérieur d’une structure politique supranationale.

Il existe plusieurs théories politiques de l’intégration régionale. En voici trois qui concernent l’Afrique : le néo-fonctionnalisme de Ernst Haas, l’intergouvernementalisme de Stanley Hoffmann et le transactionalisme de Karl Deutsch.

Pour Ernst Haas, l’intégration régionale démarre par une décision politique de quelques états qui choisissent de mettre leurs ressources naturelles en commun, de les transformer et de produire un bien. C’est en étudiant l’histoire de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA - créée en 1952) que Ernst Haas en a conclu qu’une telle structure fut fondamentale dans la réussite de l’intégration régionale en Europe.

La CECA a elle-même généré plusieurs structures et activités pour créer plusieurs décennies plus tard l’Europe telle qu’on la connaît aujourd’hui. L’idée de Haas était que l’intégration une fois lancée de la sorte ne pouvait que se développer davantage et aller de l’avant.

La théorie de Stanley Hoffmann vient contredire celle de Ernst Haas : l’intégration régionale ne peut se développer naturellement, comme mue par la magie de son propre élan. L’État est l’acteur essentiel de tout mouvement d’intégration. Lorsque l’État estime que l’option d’intégration peut nuire à ses intérêts, il cesse de coopérer et interrompt ainsi le processus. C’est ce qui s’est produit en Europe en 1966-1967 lorsque le Général de Gaulle décida de boycotter les institutions de la Communauté économique européenne (ancêtre de l’UE). De Gaulle craignait en effet que la France ne disparaisse à plus ou moins long terme, dévorée par le bloc européen.

La théorie de Karl Deutsch est particulièrement intéressante car elle considère l’intégration non pas par le haut, c’est-à-dire décidée par les états, mais par le bas : les communautés créent l’intégration et l’imposent aux états. C’est peut-être la théorie la plus séduisante et qui convient le mieux à la situation africaine où l’on voit des ensembles communautaires gérer des espaces de vie, créer des biens publics, comme des centres de santé, qui servent des patients originaires de pays différents. C’est de cette réalité africaine que naîtra une intégration régionale durable.

Nous tenons à remercier Kenneth Nsah PhD pour l'édition de cet article d'opinion.

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